Corée du Nord : la réunification avec le sud est-elle envisageable ?  

Le rapprochement entre les deux Corées s’est grandement accéléré en ce début d’année, d’abord avec la participation des athlètes Nord-Coréens au Jeux Olympiques de Pyongyang, suivie en avril dernier par la « déclaration de Panmunjom » entre Kim Jong Un et le Président Sud-Coréen Moon Jae-In.
Le Journal International a interrogé Edgar Bellow, Géopolitologue et Professeur associé à Néoma Business School, qui a eu l’occasion de se rendre en Corée du Nord deux fois, pour en savoir plus sur les enjeux économiques, politiques et diplomatiques d’une possible réunification des deux Corées.
Le Journal International -JI- : Pensez-vous, à l’instar de M. Hautecouverture, que M Kim Jong Un soit un « être rationnel, comme l’était son père et son grand-père, qui sait jouer les relations de puissances de la région » ?
Edgar Bellow -EB- : Absolument, Kim Jun Un est un être rationnel comme l’était son père et son grand-père. C’est un personnage qui suit très bien les enjeux de puissance de la région. Le rapprochement avec la Corée du Sud et les États-Unis est calculé. 
JI : Le directeur de l’Iris, Pascal Bonniface, écrit « il faudra s’habituer à vivre avec une Corée du Nord dotée de l’arme nucléaire ». Kim Jong Un estime que si Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi avaient bénéficié de l’arme nucléaire, ils seraient toujours en vie et au pouvoir. Qu’en pensez-vous ? D’ailleurs, la reculade de Kim Jong Un sur la dénucléarisation mercredi confirme-t-elle cette hypothèse ?
EB : C’est tout à fait juste. Kim Jong Un ne peut se débarrasser de l’arme nucléaire. Il a tout misé dessus. Qui plus est, il peut mettre l’arme nucléaire dans la balance, c’est un vrai moyen de pression. L’argument de Kim Jong Un est qu’une Corée unie détiendra l’arme nucléaire. C’est un atout considérable dans une région clé du monde. 
JI : Définit comme autarcique, appliquant une politique Lénino-Stalinienne ou « doctrine du Juché », le régime Nord-Coréen n’a que très peu de liens avec l’étranger, exception faite de la Chine où une diaspora Nord-Coréenne est présente. Quelles sont les ressources du régime ? 
EB : En effet, la diaspora nord-coréenne en Chine est présente mais elle ne va pas au-delà de la Mandchourie [ État indépendant de jure entre 1932 et 1945, mais en réalité contrôlé par le Japon, et rattaché à la Chine en 1945 ]. La Chine importe également du charbon, du textile et des fruits de mer.  
JI : Est-ce suffisant pour faire tenir un État en entier ?
EB : Bien entendu que non, d’autant que les échanges entre les deux partenaires ont chuté de moitié entre décembre 2016 et décembre 2017. La Corée du Nord abrite 160 entreprises Sud-Coréennes, sur le site industriel de Koesong, à la frontière des deux Corées. Créé en 2004, et né de « la diplomatie du rayon de soleil », le complexe industriel emploie environ 55.000 Nord-Coréens. Les entreprises sud-coréennes bénéficient ainsi d’une main d’œuvre qualifiée et à faible coût. Quant à la Corée du Nord, cela représente une manne financière importante.   
JI : Lors de la réunification des deux Allemagnes –Ostpolitik– l’écart entre la RFA et la RDA était moindre qu’entre les deux Corées. En termes économique mais aussi démographique : quatre Allemands de l’Ouest pour un Allemand de l’Est. Concernant les deux Corées, le rapport est de deux Sud-Coréens pour un Nord-Coréen. De plus, vous avez récemment dit que 70% de la jeunesse sud-coréenne était contre la réunification. Dans ces conditions, celle-ci est-elle envisageable ? 
Pour l’heure, on en est encore loin. Mais depuis 1991, suite à la chute du mur de Berlin, la Corée du Sud a prévu un fonds pour la réunification au cas où celle-ci deviendrait une option sérieuse dans les décennies à venir. Ce fonds s’élevait à 167 milliards de dollars en 2012. 
JI : Par conséquent, si la réunification devient une réalité, elle entraînerait de facto une zone de libre-échange / liberté de circulation des biens-services et des personnes. Celle-ci ne conduirait-elle pas à une émigration massive des Nord-Coréens au sud, créant ainsi, de nouvelles instabilités ?
EB : Dans un premier temps, c’est fort probable que l’émigration du nord au sud soit importante mais plusieurs éléments me font penser que ça ne durera pas. D’abord, le peu de Nord-Coréens ayant fui vers le sud sont aujourd’hui marginalisés. Ils n’arrivent pas à s’adapter au système capitaliste du Sud. Il y a fort à parier que les retours soient nombreux à cause des fortes différences culturelles. 
De plus, le fond structurel doit palier à prévenir un exode des Nord-Coréens en finançant des infrastructures en Corée du Nord, pour qu’à l’instar de ce qui fut fait pour les deux Allemagnes, le nord puisse rattraper le sud. D’autant que la Corée du Nord ne manque pas de ressources : halieutiques mais aussi minerais, qu’elle ne peut pour l’heure extraire faute de savoir-faire technologiques, et touristiques. 
JI : Dans « Chine Magazine » vous émettez l’hypothèse que la Chine, derrière sa discrétion, s’apprête à tirer grand profit de la réunification. Pourquoi ? 
Les enjeux sont avant tout géopolitiques puis économiques. La Chine est entourée de frontières instables [Tibet, Asie Centrale]. La Corée du Nord est une zone tampon. La Chine et les États-Unis ont tout intérêt à une Corée du Nord stable, tant les enjeux économiques sont nombreux. En aucun cas la Chine ne veut se montrer belliqueuse et faire preuve d’ingérence dans les affaires de la Corée du Nord. Ne serait-ce que vis à vis de la Corée du Sud dont les liens sont étroits, notamment depuis les Jeux Olympiques de Séoul en 1988 après lesquels la Chine a bénéficié de la venue d’entreprises sud-coréennes sur son territoire, créant ainsi de l’emploi et quelques transferts de technologie. Contrairement à ce qui est souvent dit, la Chine aide les États-Unis dans le processus de réunification, du moins de pacification des deux Corées.