Visite de trois jours du président Roh Moon-Hyun en Algérie
Les ambitions sud-coréennes
Le Taegeukgi, emblème national coréen, flotte à Alger depuis hier. Ce drapeau, qui symbolise la philosophie asiatique du yin et du yang, n’a jamais été hissé à ce niveau puisque aucun président sud-coréen n’a visité l’Algérie. Roh moo-hyun, 60 ans, est donc le premier à le faire depuis hier, accompagné de son épouse Kwon yang-suk, d’une quarantaine d’hommes d’affaires, de 70 journalistes et de ministres dont celui de l’Energie.
Séoul a rarement signé des accords de « partenariat stratégique » avec d’autres pays. Cela sera fait lors de cette visite. Un haut responsable de la présidence coréenne nous a confié ces derniers jours que l’Algérie est perçue comme « un pays noyau » en Afrique avec le Nigeria et l’Egypte. Ces deux pays font partie de la tournée africaine de neuf jours de Roh moo-hyun. Aucun président coréen n’a visité le continent noir depuis 1982. Séoul envisage, à partir de 2008, de tripler le fonds d’aide au développement pour l’Afrique. Roh moo-hyun, qui gouverne la Corée du Sud depuis 2003, a passé quatre jours au Caire, le séjour le plus long de sa tournée. L’Egypte a établi ses relations diplomatiques avec la Corée du Sud en 1995, cinq ans après l’Algérie. « L’Egypte est une tête de pont pour que la Corée du Sud ouvre une voie vers le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Europe », estime-t-on à Séoul. L’Algérie, qui est presque logée à la même enseigne, à l’avantage d’être plus proche de l’Europe et d’avoir de grandes potentialités en hydrocarbures. La Corée du Sud, qui développe depuis plusieurs années « la diplomatie de l’énergie », est décidée à s’investir dans le domaine du pétrole et du gaz. Avant sa venue à Alger, le président coréen a visité le Nigeria où un accord de partage de production a été signé concernant deux blocs pétroliers situés en haute mer. Le Nigeria est le premier Etat pétrolier en Afrique. En Algérie, la Corée du Sud aspire, en partenariat ou non avec des entreprises algériennes, à réaliser des projets de raffineries et d’industrie pétrochimique. Autant que la Chine ou le Japon, ses deux principaux voisins, la Corée du Sud, qui connaît une forte croissance économique, figure au top 10 des plus gros importateurs et consommateurs de pétrole. L’éloignement géographique, presque 12 000 km, ne semble pas bloquer les intentions coréennes de développer de « grands projets énergétiques », pour reprendre l’expression d’un conseiller de Roh moo-hyun. D’abord, Séoul entend diversifier ses importations. Ensuite, l’Algérie, qui est le cinquième partenaire commercial de la Corée du Sud en Afrique, sera pour le pays du Matin calme un allié de premier plan pour explorer le marché de l’énergie dans la région du Maghreb et s’y installer, les relations avec la Libye et la Mauritanie étant peu développées. La présence des firmes américaines et européennes dans les zones d’exploitation pétrolière et gazière algériennes est perçue comme « un monopole » à casser. L’élan des entreprises coréennes du secteur a été stoppé net par la violence de type terroriste en Algérie et par la crise financière asiatique de 1997. Les deux pays sont liés, depuis une année, par un accord de stockage commun de produits pétroliers. « Un mémorandum d’entente sera signé entre les deux ministres de l’Energie au cours de ma visite en Algérie. Les hommes d’affaires algériens et coréens devraient, pour leur part, asseoir les bases pour une coopération systématique dans le secteur de l’énergie (...). Mon souhait est de voir la coopération entre les deux pays prendre un nouvel essor dans le secteur énergétique dont le pétrole, le gaz naturel, l’électricité et les énergies renouvelables », a déclaré Roh moo-hyun, dans une interview à l’agence officielle APS.Séoul veut supprimer les visas
Aujourd’hui, un forum des hommes d’affaires se tiendra au Palais des nations, à Club des pins. Le domaine de la construction intéresse les Coréens, conscients de la forte concurrence chinoise. Aussi ne veulent-ils pas « faire la même chose », mais aider à transférer un certain savoir-faire et une certaine efficacité. Annuellement, la Corée du Sud, qui compte 48 millions d’habitants, construit l’équivalent de 500 000 logements. La possibilité de construire des centres de commerce à Alger et dans les grandes villes algériennes est à l’étude. Les technologie de l’information figurent également dans l’ordre des priorités. Les Coréens apportent actuellement leur expertise pour assister le gouvernement algérien à privatiser Algérie Télécom et à informatiser et connecter les administrations. Des projets qui impliquent, entre autres, la Korean IT Industry Promotion Agency (KIPA) et Daewoo. « Nous connaissons l’engouement des jeunes Algériens pour l’internet. Nous souhaitons accompagner cet élan par des formations structurées et régulières en matière des nouvelles technologies de la communication », nous dit-on. La Corée du Sud, où l’utilisation de l’internet à haut débit intéresse 25% de la population (le plus élevé au monde), entend être « une puissance informatique ». Elle compte le démontrer à travers le projet de cyberpark à Alger. Des hommes d’affaires veulent s’installer en Algérie, mais sont freinés par au moins deux obstacles. Le premier est l’absence d’interconnexion bancaire. « Le système bancaire algérien est archaïque », nous a-t-on dit. Le deuxième est l’inexistence d’école internationale qui dispense des cours en anglais. « Les hommes d’affaires ont pour tradition de s’installer avec leurs familles. Les enfants doivent, par conséquent, poursuivre leur cursus scolaire. Ce n’est pas possible en Algérie », précise ce haut responsable coréen. A Séoul, on ne comprend pas pourquoi Alger impose des visas aux ressortissants coréens. « Si vous n’expliquez pas le but et la raison de votre visite en Algérie, il n’y aucune chance d’avoir le visa », indique-t-on. Séoul est disposé à supprimer le visa pour les Algériens, si Alger fait de même. Il est déjà envisagé la suppression des visas pour les diplomates et hommes d’affaires des deux pays. La Korean Airlines, qui a une liaison avec Tunis, étudie la possibilité commerciale d’ouvrir une desserte sur Alger. « Les touristes coréens adorent le Sahara et aiment l’aventure... », souligne-t-on. Reproche est fait à l’Algérie de ne pas promouvoir son tourisme en Corée du Sud, où il n’existe aucun guide qui vante les beautés et les attributs de cette destination. La preuve ? Même insignifiant, le site internet de l’ambassade d’Algérie à Séoul est toujours en phase de... remise à jour. Un homme d’affaires analyse actuellement la faisabilité d’ouvrir un restaurant coréen à Alger. Pour cela, il a besoin d’un terrain pour planter des choux chinois. Une condition, semble-t-il, pour pouvoir préparer le célèbre kimchi, plat national coréen fait à base de légumes épicés
El Watan, 12 mars 2006 Metaoui Fayçal