Son Excellence M. Donghwan Choi, ambassadeur de Corée du Sud au Sénégal : « Vous êtes un peuple talentueux, apte à construire un pays émergent »
Le Sénégal est le premier poste de Son Excellence M. Donghwan Choi en tant qu’ambassadeur. A son arrivée, il est tombé sous le charme de notre pays. Non, parce que le Sénégal est son premier poste en tant qu’ambassadeur, mais que notre pays a des similitudes avec la Corée du Sud. « Nos deux pays sont très petits au plan de la superficie et ne sont pas aussi très bien pourvus en ressources naturelles.
Le Sénégal, à l’image de mon pays, recèle des potentialités humaines énormes », a souligné M. Donghwan Choi qui, émerveillé, a laissé entendre que « le Sénégal est un peuple qui a du talent ». Avec un tel atout, le Sénégal peut aller loin, commente le diplomate.
Sur un ton humoristique, il relève être frappé par « l’heure sénégalaise ». Autre élément de similitude avec la Corée du Sud des années 70. Au plan sportif, le diplomate se sent lié à notre pays et aime à rappeler que c’est à Séoul, en 1988, que le Sénégal a décroché, pour la première fois de son histoire, une médaille olympique. C’est aussi en Corée, note le diplomate que notre équipe nationale a écrit les belles pages de l’histoire du football sénégalais, en atteignant, pour une première participation, les quarts de final d’une Coupe du monde. D’ailleurs, il ne rêve que d’une chose : « Voir le Sénégal et la Corée du Sud jouer la finale de la Coupe du monde 2010, en Afrique du Sud ».
Son Excellence M. Donghwan Choi a fait ses études en Corée du Sud avant de les poursuivre en Europe, précisément à l’Institut international d’administration publique de Paris où il est sorti en 1981. Déjà, en 1980, il avait réussi avec brio à l’examen de la haute diplomatie et devait rejoindre le ministère des Affaires étrangères pour débuter sa carrière de diplomate. Successivement directeur adjoint de la division Maghreb et celui de la division II de la coopération économique (1985-1988), il sera premier secrétaire de l’ambassade de Corée à Paris (1988-1992), premier conseiller du président de l’Assemblée nationale de Corée du Sud, ministre plénipotentiaire et consul général de l’ambassade de Corée du Sud en France (2003-2006).
Père de deux enfants, une fille et un garçon, il dit vouloir « renforcer davantage les relations entre son pays et le Sénégal ».
Volume des échanges entre les deux pays : la balance se penche nettement en faveur de la Corée du Sud, un peuple discipliné et un modèle de réussite économique sans ressources naturelles
J’ai remarqué que les commerçants et les entreprises sénégalaises ne sont pas très présents sur le marché sud-coréen. Ils n’exportent pas beaucoup vers mon pays. Un certain nombre d’éléments expliquent cela : la distance entre les deux pays et la langue. Il faut le dire, peu de Coréens parlent le français. Mais, il faut quand même souligner que le peuple sud-coréen connaît le Sénégal depuis l’épopée de votre équipe nationale de football, au Mondial 2002. C’était une surprise très agréable surtout lorsque les « Lions » avaient fini de battre la France en match d’ouverture. Aussi, le Sénégal est vu dans mon pays comme un exemple de démocratie en Afrique.
J’ai assisté, en avril 2007, à la cérémonie de prestation de serment du chef de l’Etat sénégalais, Me Abdoulaye Wade. Il avait dans son discours insisté sur la révolution des mentalités. Cela me paraît fondamental. Il a, à mon avis, évoqué cette révolution des mentalités comme la condition première du développement socio-économique de votre pays. C’est une philosophie que je partage totalement. En effet, c’est l’une des valeurs sur lesquelles la Corée du Sud a bâti sa réussite économique. Cette révolution des mentalités commence d’abord par une assiduité au travail. D’ailleurs, le slogan du chef de l’Etat sénégalais, « il faut travailler, toujours travailler, encore travailler » l’illustre. Ensuite, les gens doivent avoir l’esprit d’initiative et d’autonomie pour aller de l’avant. Enfin, l’esprit d’entraide. Ces trois éléments essentiels pour le développement socio-économique d’un pays expliquent la réussite économique de la Corée du Sud.
Mais, je tiens à préciser que votre pays a vraiment des potentialités pour se développer. Institutionnellement, le Sénégal a un système démocratique qui date de longtemps. La bonne gouvernance est inscrite dans sa Charte fondamentale avec une volonté inflexible du peuple d’avancer. Ce peuple a du talent, sans lequel rien n’est possible, mais aussi de la motivation. La volonté politique réelle : le Sénégal consacre 40 % de son budget à l’Education. Des infrastructures sociales de base, un bon réseau routier, des équipements aéroportuaires intégrant les Nouvelles technologies de l’information et de la communication et un bon niveau des ressources humaines sont déjà disponibles. Je suis sûr que le Sénégal sera bientôt un pays émergent sur le continent africain.
Je vais vous faire-part de mon expérience personnelle. La discipline est un pilier essentiel pour supporter le développement d’un pays. A mon arrivée à Dakar, il m’était difficile de m’adapter à « l’heure sénégalaise ». Quand nous étions jeunes, nous avions aussi chez nous, « l’heure coréenne ». Quand le rendez-vous était fixé à 10 heures, tout le monde venait à 10 heures 30 minutes. Sur ce point, nous avions des caractères similaires et « l’heure coréenne a existé jusqu’au début des années 70 ». Mais, on a commencé à opérer un changement à partir des années 80. Et l’organisation des Jeux olympiques de Séoul 1988 a été un moment important dans l’envol économique de la Corée du Sud.
C’était un moment de rupture. Pour préparer les Jeux olympiques, on a commencé par éliminer « l’heure coréenne ». A l’époque comme j’étais conseiller technique n°1 du président de l’Assemblée nationale, il arrivait toujours une minute avant l’ouverture de la séance. De ce fait, les députés étaient toujours à leur place avant l’heure. Après la révolution des mentalités matérialisée par l’assiduité au travail, l’esprit d’initiative et l’entraide ont fait le reste. On a alors fini par rétablir la discipline.
Les grands axes de la coopération sénégalo- sud-coréenne
Commençons d’abord par l’Education. Il y a des volontaires sud-coréens qui travaillent à l’Ecole nationale des Arts comme enseignants. Plusieurs volontaires sud-coréens interviennent aussi dans les écoles et instituts techniques et professionnels, notamment le Bâtiment et la Technologie. Des professeurs sénégalais sont aussi invités en Corée du Sud pour leur formation professionnelle. Des études de faisabilité sont en train d’être menées pour la construction d’écoles primaires, de collèges et de lycées. Cette année, nous allons construire des écoles au Sénégal.
Pour l’aquaculture, nous étudions depuis deux mois, la possibilité de créer un Centre de formation dans ce domaine. Nous sommes en train de négocier avec le gouvernement sénégalais pour la mise en place de l’Agence pour la promotion de l’aquaculture. L’important pour nous dans l’accompagnement du Sénégal, c’est de se focaliser sur l’éducation et cela dans tous les domaines. Au lieu de donner chaque jour du poisson à quelqu’un, il vaut mieux lui apprendre à pêcher.
Ensuite, parlons de la coopération agricole, avec l’important projet de Dagana. Notre volonté est d’effectuer un transfert de technologie en apprenant, sur place, aux populations comment irriguer et cultiver. Dans ce programme, nous allons d’abord installer un système d’irrigation, ensuite exploiter des terrains pour l’expérimentation.
Enfin, nous allons donner aux populations des équipements agricoles en les initiant sur les techniques modernes de culture du riz, en construisant une salle de réunion équipée de vidéo conférence. Trois villages bénéficieront de cet appui. Dans ces salles de réunion, nous allons réunir les populations pour échanger avec elles afin d’opérer un changement des mentalités pour plus de discipline. Sans discipline, on ne peut pas progresser.
Le projet de Dagana s’inscrit dans la volonté de partage de mon gouvernement de nos expériences de développement. Le programme va durer trois ans. Dans deux à trois semaines, des experts sud-coréens vont venir au Sénégal pour travailler avec les populations de Dagana. Des programmes d’amélioration de la productivité agricole sont aussi à l’étude par mon gouvernement. Une mission sud-coréenne a déjà séjourné au Sénégal et a même produit un rapport pour la finalisation dudit projet avec un important montant pour la région de Podor. Si ce travail nécessite un renfort de volontaires, la Corée du Sud répondra favorablement. Car nous tenons beaucoup à l’autosuffisance et à la sécurité alimentaire dans les zones où nous intervenons. C’est très important. Sur ce point, le gouvernement sud-coréen est en phase avec celui du Sénégal.
Dans le domaine des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic), nous voulons pousser davantage la coopération entre nos deux pays. C’est ainsi que des experts sud-coréens sont présents dans plusieurs services de l’Etat sénégalais. Et l’année dernière, nous avions envoyé en mission d’études des étudiants post-universitaires, experts en Ntic. Cette année aussi, nous avons fait la même chose. Dans ces missions, le gouvernement sud-coréen prend en charge les billets d’avion et les frais d’hébergement, entre autres. La Corée du Sud est également prête à accorder un tarif préférentiel à l’Etat sénégalais dans la réalisation de son projet « i-gouvernement ».
Je vous signale que j’ai demandé au secteur privé sud-coréen de mieux pénétrer le Sénégal. Beaucoup de nos produits sont vendus dans votre pays. Je suis en train d’encourager le secteur privé coréen à venir s’installer au Sénégal dans le domaine de la construction, des Ntic... Je trouve que le projet « i gouvernement » du Sénégal est très ambitieux et que la Corée du Sud peut aider à sa réalisation. J’espère que les entrepreneurs privés sud-coréens vont bientôt s’installer au Sénégal. D’ailleurs, à la façon dont je fais votre plaidoyer, je me demande, si je suis un ambassadeur sud-coréen au Sénégal ou un ambassadeur sénégalais (rires). Enfin, parlons du sport. Actuellement, il y a un accord sur l’envoi d’experts en taekwondo. Cet accord explique la présence au Sénégal d’un spécialiste de la discipline depuis plus d’une quinzaine d’années. Pour l’avenir, notamment pour la Coupe du monde 2010, en Afrique du Sud, j’aimerai voir le Sénégal et la Corée du Sud disputer la finale (rires).
L’espoir d’une grande Corée réunifiée
Depuis quelques années, le gouvernement sud-coréen a établi la politique du soleil qui consiste à inviter les dirigeants nord-coréens, malgré leur programme nucléaire, autour d’une table pour discuter. Notre patience a fini par payer grâce au rétablissement du dialogue entre les deux pays à travers le processus de dialogue à six. Actuellement, le processus se poursuit normalement. Nous avons commencé à dialoguer avec les responsables nord-coréens. D’ailleurs, l’ancien président sud-coréen a même visité la Corée du Nord.
Au cours de ce mois, le président Roh Moo-hyun devrait se rendre à Pyongyang pour s’entretenir avec son homologue nord-coréen (Ndlr : l’entretien a été réalisé il y a une dizaine de jours). Le processus de dialogue entre les deux parties se déroule donc très bien. Si le processus continue, nous allons peut-être un jour voir se réaliser la réunification de la grande Corée. Mais, à mon humble avis, le processus sera long.
La Corée du Sud dans le monde
L’année dernière, nous avions organisé la première édition du forum Corée du Sud-Afrique, à Séoul. C’était le début d’une série de rencontres que nous voulons mutuellement bénéfiques. D’après le schéma retenu, ce forum devrait se tenir tous les deux ans. La deuxième édition devrait avoir lieu en terre africaine. La rencontre devrait, en principe, se tenir en Afrique du Sud mais, ce n’est pas officiel. Le souhait de mon gouvernement est d’élargir ces rendez-vous et d’en faire même des rencontres annuelles au plus niveau entre les dirigeants sud-coréens et ceux de l’Afrique.
La Corée du Sud est un pays qui s’est engagé dans la lutte contre le terrorisme. C’est ce qui explique l’envoi d’abord de troupes en Afghanistan, ensuite en Irak conformément aux résolutions de l’Onu. Pour le retrait des troupes sud-coréennes de l’Afghanistan, la décision a été prise avant l’enlèvement, par les talibans, de 22 de mes compatriotes. Seulement, elle n’était pas rendue publique. Concernant la présence de nos troupes en Irak, le gouvernement le fait toujours en conformité avec une résolution des Nations unies. C’est à l’image du Sénégal qui participe à des forces de maintien de la paix des Nations unies dans certaines parties du monde.
Pour ce qui est des otages sud-coréens en Afghanistan, mon gouvernement n’a pas versé 20 millions de dollars aux ravisseurs. Ce sont seulement des rumeurs. Les ravisseurs avaient posé deux conditions : retrait des troupes coréennes de l’Afghanistan et non présence de ressortissants coréens dans ce pays. Je dois souligner qu’il y a beaucoup de Sud-Coréens travaillant dans l’humanitaire en Afghanistan par le biais d’Ong parce que les populations ont besoin de leurs services dans les domaines de la Santé ou de l’Education.
Voilà les exigences des ravisseurs. Malheureusement pour les populations afghanes, avec la prise d’otages, tous les sud-coréens envoyés là-bas par le gouvernement ont été rappelés. S’agissant des humanitaires relevant du secteur privé, je ne saurai être catégorique. Mais, comme les talibans ne veulent pas de leur présence, je suppose qu’ils vont quitter l’Afghanistan.
Je dois dire que la menace terroriste est partout présente. Qu’il s’agisse de l’Europe, du Canada, des Etats-Unis et même de l’Afrique. Nous conseillons seulement à nos ressortissants d’être très prudents et de faire très attention en veillant à leur sécurité. Les terroristes peuvent frapper n’importe où et n’importe quand. Nous devons rester vigilants, même si l’on ne sent pas tellement la menace terroriste sur notre propre territoire.
Propos recueillis par cheikh aliou amath et Mamadou GUEYE (avec la rédaction)