samedi 22 mars 2008

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Voyage à l'ère planétaire - 4... la politesse...
Denise Bombardier
La politesse ne suffit pas à empêcher les guerres, cela va de soi, mais cette invention humaine qui codifie et ritualise les rapports entre les êtres contribue sans doute à réduire les affrontements interpersonnels dans la vie quotidienne. Que feraient les quelque 12 millions d'habitants de Séoul, auxquels s'ajoutent les 10 millions qui résident dans les banlieues, sans ce ballet incessant de courbettes, d'inclinaisons de la tête et de serrements de main accompagnés de sourires, pour nous énigmatiques?
Comment vivre dans une mégapole étouffante entourée de milliers d'immeubles en hauteur laids et sans aucune recherche architecturale, aux espaces verts raréfiés, à la circulation automobile infernale et qui se paie le luxe de ne pas faire usage de noms de rues ou d'adresses, un cauchemar pour les étrangers? Pourtant, cette ville, loin de rebuter, fascine. Il y a de l'électricité dans l'air et chaque Coréen se transforme patiemment en guide touristique à la demande. Mais attention: ici, le bilinguisme, moins répandu qu'on le croit, consiste avant tout à parler un peu d'anglais en coréen, c'est-à-dire avec un accent tel qu'il vous est incompréhensible. Se vérifie encore une fois en Corée, pays à la présence américaine si imposante compte tenu de l'histoire moderne, le mythe du bilinguisme généralisé. À l'intérieur de leur territoire, les peuples s'expriment dans leurs propres langues, et seules les élites, avant tout dans le secteur économique et financier, usent d'un anglais plus ou moins fonctionnel. On est au coeur du vieux débat mille fois radoté de l'usage international de l'anglais comme instrument de communication. Or la diversité culturelle n'est pas mise à mal par cette pratique. Le nivellement de la culture se vit de façon infiniment plus pernicieuse lorsqu'on regarde la production télévisuelle nationale ou qu'on se promène dans les magasins. Les formules des talk-shows, les télés-réalités et les spectacles musicaux sont partout les mêmes. Sans connaître le coréen, il est facile de saisir la trivialité de l'émission aperçue au petit écran et dans laquelle l'animateur interpellait, avec force courbettes, une dame d'un âge certain déguisée en jeunette, lourdement maquillée et qui, pour le plaisir évident d'un public criard, acceptait de se déhancher gauchement au rythme d'une musique tonitruante sous les rires entendus de l'auditoire en studio. Si dépaysement il y a, c'est bien celui de ne pas l'être à 20 heures d'avion de Montréal. Le magasinage, activité excitante des voyageurs d'antan assurés de trouver des raretés inconnues dans leur pays d'origine, ces cadeaux exclusifs qui comblaient ceux qu'ils avaient momentanément abandonnés, eh bien, le magasinage ne garantit plus ce type de plaisir. Qu'on soit au Cap en Afrique du Sud, à Dubaï, à Macao, à Séoul, à Paris, à Atlanta ou désormais à Lhassa, ce sont les mêmes «guenilles», haut ou bas de gamme, qu'on trouve. Entre les Banana Republic, Club Monaco, Versace, Aldo et Nike, la planète est devenue un seul grand centre commercial et les Terrestres portent les mêmes uniformes. La cuisine, dernière caractéristique culturelle à disparaître avant qu'un peuple ne s'éteigne, n'échappe pas au rouleau compresseur. Si l'étranger rebute à manger ici le poisson encore vivant, signe plus qu'évident de sa fraîcheur et que les Coréens dégustent en s'assurant simplement de lui engourdir la tête avec de la glace au moment où ils découpent le corps en lamelles, il retrouve les plats locaux qu'il mange dans les restaurants coréens de l'ouest de Montréal. Dans les assiettes des grandes villes du monde, la cuisine fusion est de rigueur, si bien que le goût, cette expression culturelle de la sensualité, tend à se mondialiser, entraînant une inévitable standardisation. Les saveurs trop singulières, les aliments -- appelons-les extrêmes -- comme la cervelle de singe vivant, les insectes douteux et autres crêtes de coq ou oeufs pourris, n'ont plus la cote chez les jeunes branchés de la planète, nourris de sonorités et de rythmes qu'accompagnent si bien hamburgers, falafels, pizzas et smoothies. Dans cette perspective, on peut croire que la diversité culturelle de notre époque repose avant tout sur la mémoire historique et culturelle ainsi que la source des imaginaires collectifs nationaux. C'est en se rendant à la frontière de la Corée du Nord, ce territoire coupé du reste du monde où règne l'héritier hystérique et illuminé du père tyran qui a soumis ses compatriotes à l'esclavage, qu'on découvre la «différence» coréenne. C'est en lisant l'histoire de l'occupation japonaise qu'on saisit la spécificité tragique de la Corée. C'est en constatant la modernité du pays qu'on est en mesure d'évaluer les efforts gigantesques qu'a déployés ce peuple volontariste et travailleur pour rebâtir les destructions systématiques des guerres du XXe siècle. Le culte du travail, si palpable ici, représente pour nous un véritable dépaysement. Une vision forcément impressionniste pour celui qui passe en coup de vent donne à penser que l'intérêt pour la culture n'est pas contradictoire avec ce progrès économique. Les Coréens, et les jeunes en particulier, sont de grands consommateurs de musique, d'opéra, et se passionnent pour la peinture et les arts graphiques. Séoul n'est pas qu'une ville de workaholics et de capitalistes sans âme, comme on aime à la caricaturer. Les Coréens vivent en coréen, une langue inexistante sur le plan international; ils portent en eux leur histoire douloureuse dont les barbelés et les miradors qui s'étendent de la capitale jusqu'à la frontière avec le Nord leur sont un rappel quotidien. Surtout, ce peuple modeste à l'échelle de la géopolitique de ses voisins, la Chine et le Japon, ne s'est jamais apitoyé sur son sort, ce qui explique sans doute qu'il se soit lui-même donné un avenir.
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Bienvenue au Pays du Matin calme !

L'Afrique et la Corée du Sud ont des similitudes historiques et sociales. La Corée peut être une source d'inspiration pour les pays africains. Se développer en s'adossant sur ses valeurs culturelles, tel est le pari réussi par le "Pays du matin calme."