jeudi 22 novembre 2007

La Corée du Sud, bille en tête, télé en poche
LEMONDE.FR 06.11.07 15h17 • Mis à jour le 06.11.07 15h17
Séoul, de notre envoyé spécial
Aucune autre innovation technologique n'aura été aussi rapidement adoptée : le téléphone mobile, peu onéreux et d'un usage aisé, s'est rapidement imposé comme le nouvel écran de notre vie, réunissant tout à la fois communications et loisirs. Avec l'arrivée des mobiles de dernière génération, incluant caméra, stockage, haut-parleurs et écran large, ce sont de véritables outils multifonctions, hybrides entre ordinateur, magnétoscope et caméra vidéo, que nous amenons partout. Prochaine étape, la télévision de poche, et le champion toutes catégories dans cette discipline, c'est la Corée du Sud.
Dans les rues de Séoul, que ce soient de jeunes collégiennes rieuses en uniforme "socquettes, chemise blanche et jupe à carreau" ou un vieil homme mal fagoté calé sur son tabouret dans les couloirs souterrains du métro, tous, sans exception ont un portable à la main. Et les plus hi-tech ne sont pas forcément ceux auxquels on pense en premier. Car même si les prix des téléphones sont largement en dessous de ce que nous connaissons en Europe, pour les étudiants, l'accès à un smartphone-récepteur TV est encore trop onéreux. Ces derniers se contentent donc des fonctions SMS, jeux et MP3. Par contre, pour les plus aisés, ce sera forcément un portable de dernière génération, avec écran large et tuner T/S-DMB permettant la réception des bouquets de chaînes terrestres gratuites et satellites sur abonnement. Dans Séoul, tous les gardiens de parking et tous les vendeurs ambulants sont équipés de ce genre de téléphone, et passent leur temps d'attente à regarder cette drôle de mini-télé qui tient dans la poche, une fois l'antenne repliée. Car c'est là à peu près la seule différence avec un portable classique : l'antenne. Taille, poids, et look sont en tous points semblables aux modèles que nous connaissons en France. Ça et là, au détour d'une rue, il n'est pas rare de croiser un cadre en costume trois pièces, tenant son portable à l'horizontale, et marchant sans regarder devant lui, tout affairé à visionner son émission préférée. A Séoul, capitale du portable, gare aux collisions de piétons !
Justement, que peut-on regarder sur ces écrans timbre-poste ? Les offres des deux principaux acteurs du marché : "Fimm" pour KTF et "June" pour SKT diffusent quelques programmes courts spécifiques à ce nouveau média, mais, dans leur grande majorité, ce sont les chaînes, émissions et séries du "petit" écran que l'on retrouve sur ce "tout petit" écran. En tête de consultation, les classiques séries télévisées ("soaps"), mais aussi et surtout les retransmissions sportives. Partout dans les rues de Séoul, les Coréens pianotent fébrilement, chattent en vidéo ou visionnent à bout de bras leur nouvel écran pour zapper parmi les trois bouquets disponibles. Ces derniers rassemblent au total une petite quarantaine de chaînes vidéos ou audio. Qu'ils soient confortablement installés sur un banc, en train de déambuler dans les rues, ou debout en autobus, il n'y a visiblement pas de problèmes de réception une fois la chaîne "accrochée". Le bouquet terrestre, entièrement gratuit via la technologie T-DMB propose les principales chaînes nationales, alors que le bouquet satellite S-DMB, payant par abonnement (10 euros/mois) permet en plus de consulter des programmes spécifiques en "pay per view" (1,5 euro l'unité) ; et en moyenne, c'est plus d'une heure et demie que passent ces nouveaux "mobispectateurs" devant leur mini-écran.
C'est en octobre 2004 que la Corée du Sud s'est lancée dans cette aventure nomade : déployer un standard de diffusion de télévision de masse sur téléphone mobile ("broadcast"). Ce système hybride – à la fois satellitaire et terrestre – baptisé T-DMB et S-DMB (Terrestrial et Satellite Digital Multimedia Broadcasting) permet de couvrir les agglomérations via les 7 000 relais et répéteurs numériques terrestres, et le reste du pays grâce au satellite MB Sat lancé pour l'occasion par le géant des télécoms coréens, SK Telecom (SKT). Au final, 97 % du territoire est couvert, intérieurs d'immeubles inclus, et, en un peu moins de trois ans, ces services ont séduit plus de 8,26 millions de Coréens à ce jour.
Il faut dire que la Corée du sud est un cas à part dans l'univers des télécommunications et des nouvelles technologies : sur une population d'environ 48,5 millions d'habitants, près de 88 % (42,5 millions) possèdent un téléphone portable, et 75,5 % (34,5 millions) sont connectés à Internet, dont 14,5 millions en très haut débit par fibre optique. Le "pays du très haut débit" aligne ainsi de nombreux records en la matière. Quant aux tarifs d'abonnement, ils sont largement abordables et contribuent au succès des services proposés : il faut compter 35 000 Won (environ 25 euros) pour un abonnement à Internet haut et très haut débit, 13 000 Won (10 euros) par mois pour un abonnement classique de téléphonie mobile auquel il faut ajouter 13 000 Won (10 euros) par mois pour une souscription aux services de TV sur mobile par satellite. Pour les bouquets de chaînes terrestres, c'est tout simplement gratuit.
Mais les tarifs ne font pas tout. Les contenus, la facilité d'accès aux réseaux et l'existence d'une offre concurrentielle dans les terminaux sont déterminants. Dans cette conjonction d'effets porteurs, les deux plus puissants des " Chaebols " - sortes de conglomérats industriels nationaux – jouent un rôle primordial. SKT, qui détient a lui seul la moitié du marché des services sur mobiles et Samsung, l'un des principaux constructeurs de téléphones portables dans le monde développent de concert applications et produits destinés à tous les marchés de ce nouvel eldorado. Pas moins d'une quinzaine de modèles différents chez Samsung permettent de capter l'ensemble des programmes diffusés par SKT, mais aussi par son outsider en Corée, KT Freetel (KTF). Olivier Dumons

Les offres et bouquets en Corée du Sud
TU média, un consortium constitué entre autres par SK Telecom (33%) et Samsung (5,6%) a lancé en mai 2005 un bouquet payant (env. 10 euros) appelé "June" qui rassemble actuellement 19 chaînes de télévision - dont une entièrement consacrée au sport et une autre réservée aux plus de 19 ans – ainsi que 20 radios, mais également des programmes en " pay per view " (env. 1,5 euros l'unité). TU Média annonce 1,5 millions d'abonnés à son bouquet.
KT Freetel propose depuis mars 2007 un bouquet 3G+ par abonnement concurrent, baptisé "Show", qui permet d'accèder aux chaînes hertziennes diffusées en T-DMB, mais également des services de visiophonie, d'échanges de photos haute résolution ou de téléchargement rapide de données. Le bouquet TNT gratuit disponible en Corée depuis le 1er décembre 2005 sur téléphone mobile grâce à la technologie T-DMB comprend 6 chaînes nationales (dont KBS, MBC et SBS), 18 radios numériques et 6 flux de données.

Prévisions et chiffres
Les prédictions d'utilisation de ce nouveau marché de la TV sur mobile sont plutôt prometteuses : Strategic Analytics prévoit 50 millions d'utilisateurs à l'horizon 2009, pour un chiffre d'affaires estimé à 6,1 milliards de dollars. De son côté, Informa Telecoms table sur 124,8 millions de " mobispectateurs " en 2010, pour un marché évalué à 8,4 milliards de dollars. Et selon ce dernier, les combinés compatibles TV mobile s'écouleront à raison de 83 millions d'exemplaires en 2010 contre 130 000 en 2005. Enfin, pour Juniper Research, ce seraient 120 millions d'utilisateurs de TV Mobile à l'horizon 2012, répartis dans 40 pays distincts, contre moins de 12 millions prévus à fin 2007, pour un marché avoisinant les 6,6 milliards de dollars, notamment grâce à la publicité. Selon ce dernier, le standard dominant serait la DVB-H, et le champion en nombre d'utilisateurs les Etats-Unis, suivis par le Japon puis l'Italie.

Samsung et les standards de diffusion
DVB-H (Digital Video Broadcasting - Handhelds) est le standard de diffusion des programmes de radio et de TV numériques retenu par la France, mais aussi et surtout par la Commission Européenne en Juillet 2007 afin de devenir le standard européen pour les systèmes de télévision mobile. BCAST est quant à lui un standard ouvert de diffusion pour les services d'émissions mobiles, défini et publié (version 1.0) cet été par l'Open Mobile Alliance (OMA). Il supporte deux technologies d'encryption, les Digital Rights Managment (DRM), et les Smart Card Profile (SCP). Ces standards permettent d'intégrer des éléments interactifs afin de permettre l'achat de produits sur mobiles ou la participation à des études et concours sur TV mobile et vidéo à la demande.
Samsung, par la voix de son directeur Business Development Europe, Anthony Park a déclaré soutenir : "d'autres standards pertinents tels que le DVB-H CBMS en Italie, le T-DMB en Allemagne (déjà présent en Corée du Sud), le MediaFlo aux Etats-Unis et le T/S-DMB en Corée du Sud.". D'autre part, Samsung, leader du marché des puces et composants électroniques, a en juillet dernier annoncé avoir développé une puce réunissant l'ensemble des technologies de TV mobile (DVB-H/T, DAB-IP, ISBD-T, 1-SEG et T-DMB).

La TV mobile en France
En France les premières expérimentations ont débuté fin 2005 avec une préférence marquée pour le système DVB-T et DVB-H (Digital Video Broadcasting Terrestrial et Handhelds). Le lancement, prévu dans un premier temps à l'occasion de la coupe du monde de rugby, a été finalement reporté, plus pour des raisons politiques et économiques que suite à des ajustements techniques. En effet, le choix des chaînes qui bénéficieront de fréquences n'est pas encore établi, et le modèle économique n'est pas arrêté : doit-on, comme c'est le cas en Corée du Sud prôner la gratuité – qui a fait en partie le succès de son déploiement – ou faut-il réfléchir à des systèmes de rémunération ? Ces questions sont toujours en suspend, et retardent d'autant l'arrivée de la mini-lucarne dans nos poches. La réponse vient peut-être de Corée encore une fois ou ces deux modèles sont maintenant mixés, certains bouquets étant gratuits, d'autres payants par abonnement, avec des modules en " pay-per-view ".

Les Chaebols
Ces vastes conglomérats industriels nationaux sont des ensembles d'entreprises et de filiales touchant de nombreux domaines et ayant des participations croisées entre elles. Dirigées par des groupes familiaux, elles sont l'héritage des " keiretsus " japonais qui ont introduit le concept entre les deux guerres en Corée.
En 1997, la crise économique a nécessité de vastes restructurations, le gouvernement forçant chacun des consortiums à faire des réorganisations en profondeur aussi bien de leur structure que de leur mode de fonctionnement : échanges de secteurs, renforcement dans certains domaines précis. Samsung a ainsi par exemple cédé son activité automobile à Hyundaï, qui, en échange lui a abandonné son secteur composants electroniques. Les 4 grands chaebols sont dans l'ordre : Samsung, Hyundaï, LG et SK Telecom. Viennent ensuite ce que l'on appelle les "mid-chaebols", dont les principaux sont Hanjin, Posco, Lotte, Kumho et Ssangyong.

Bienvenue au Pays du Matin calme !

L'Afrique et la Corée du Sud ont des similitudes historiques et sociales. La Corée peut être une source d'inspiration pour les pays africains. Se développer en s'adossant sur ses valeurs culturelles, tel est le pari réussi par le "Pays du matin calme."